Un point (nécessaire) sur Tesla

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Tesla vient d’annoncer ses résultats trimestriels (un chiffre d’affaires en forte hausse à 4 milliards de dollars, mais des pertes toujours au plus haut à 4,22$ par action), l’occasion de faire un point sur cette marque automobile, parce qu’on trouve beaucoup de contre vérités sur les réseaux sociaux (et aussi dans la presse), il me paraît important de faire un point objectif sur Tesla (et un peu Elon Musk) pour calmer le débat.

[Mise à jour 2/08/18 17h] : Wall Street semble redonner du crédit à Tesla avec une action qui a repris 10% dès l’ouverture
Tesla n’arrive pas à produire assez de voiture, alors que les autres marques savent le faire
Tesla est désormais le plus gros producteur mondial de voitures électriques : certains sites affichent des « difficultés de production », mais la production serait actuellement stable à 5000 véhicules par semaine.
Pour comparer, Renault a vendu depuis sa sortie en 2012 un total d’environ 100 000 Zoé. La citadine, qui arrivera l’année prochaine dans une toute nouvelle génération, en profitera pour passer de 220 unités fabriquées par jour à 440 (sur le site de Flins), soit une capacité de « seulement » 3080 véhicules par semaine si l’usine tourne 7j par semaine.Autre exemple, Hyundai avec son Kona, dernier venu dans la cour des véhicules électriques à plus de 500km d’autonomie, a prévu une capacité de production de 50 à 70000 exemplaires pour l’année complète 2019, soit un rythme « tranquille » de moins de 1400 véhicules par semaine, alors même que le Kona est placé sur le segment ultra vendeur des SUV urbains. Autre exemple : pas plus tard qu’hier, BMW a annoncé construire une toute nouvelle usine à Debrecen en Hongrie, à priori très ciblée pour la production de ses nouvelles voitures électriques. La production annoncée est de 150000 voitures par an, soit là encore pas plus de 3000 voitures par semaine.
Si on oublie l’électrique et qu’on regarde plus près de chez nous, l’usine PSA de Sochaux vise les 500000 voitures produites en 2018, un record absolu, soit environ 10000 véhicules par semaine en année pleine, ou l’objectif de production du Model 3 à Fremont pour mi-2019. Que Tesla vise ce niveau de production à terme la fait clairement entrer dans la cour des très grands, alors qu’on parle d’une marque qui est encore extrêmement jeune.
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Tesla a quand même un gros retard dans sa production
Pas faux : Tesla visait atteindre les 5000 voitures produites par semaine à la fin 2017. Cet objectif ayant été atteint fin juillet, la production accuse 6 mois de retard, ce qui n’est pas négligeable mais qui n’a rien d’incroyable dans l’automobile. Exemple directement comparable chez un constructeur historique : le Jaguar I-Pace dont les premières livraisons devaient être faites en septembre, accuse pour le moment un délai de 3 à 4 mois, officiellement pour de sombre histoire de prorisation des réservations, officieusement en raison de problèmes d’industrialisation (une difficulté d’approvisionnement en projecteurs LED matrix)… Et ce n’est pas Jaguar qui le produit, mais l’un des plus important producteur de voiture au monde : Magna Steyr, dans son usine de Graz.

Ca fait beaucoup de voitures électriques en retard ou difficiles à livrer tout ça…
Là, il y a clairement un effet Tesla. Souvenez-vous, jusqu’au début des années 2010, à chaque fois qu’un constructeur parlait d’une voiture électrique, il sortait un modèle citadin, si ce n’est une mini-citadine. L’idée était que vu l’autonomie limitée des batteries, il fallait cantonner cette nouvelle technologie à la ville, et donc à des petites voitures. Hors comme tout le monde le sait, qui dit nouvelle technologie dit technologie coûteuse. Et comme tout le monde le sait, les nouvelles technologies débarquent d’abord dans les voitures haut de gamme (ABS, ESP, Airbags… Tout ça est arrivé en premier sur de luxueuses berlines). Du coup, Tesla a fait ce que les constructeurs centenaires ont toujours fait, mais qu’ils n’osaient pas faire pour l’électrique : il a sorti la nouvelle technologie dans le haut de gamme, avec une énorme berline de 5m dont l’intégralité du plancher ou presque est couvert de batteries. Adieu le problème d’autonomie, et adieu le problème de prix, puisque la marge sur ces véhicule est assez confortable pour amortir une batterie en plus (et un complexe et puissant moteur thermique en moins). Résultat : en 2018 les gens qui ont assez d’argent pour se payer une voiture premium ont mis l’électrique dans leurs marques d’hésitation, et désormais Jaguar, et bientôt Porsche. L’adoption de masse commence, et elle a clairement été accélérée par Tesla.
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Dans ce cas, les objectifs de productions sont inatteignables?
Pas tout à fait : quand des industriels disposant de 100 ans d’histoire et de savoir faire (enfin bon, je suis gentil parce que quand on y travaille, on sait que beaucoup de choses se perdent avec les départs de ceux qui ont vécu le passé, ce qui fait que des « erreurs de débutant » peuvent être commises) produisent une voiture thermique, on parle d’un puzzle incroyable de milliers de pièces, alors que Tesla, en oubliant le complexe moteur thermique et en simplifiant au maximum la conception de la Model 3, a créé ce qui semble être l’une des voitures comportant le moins de pièces au monde, et la voiture à plus de 35k€ avec le moins de pièces. Un exemple pour s’en convaincre : le cockpit ultra épuré fait littéralement gagner des centaines de pièces, du bloc d’instrumentation qui a carrément disparu, au système de ventilation qui se passe des fragiles et complexes aérateurs orientables.
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Oui mais bon, les autres constructeurs, ils savent monter en cadence
Pas tout à fait : c’est même l’un des points de distortion de la réalité par les médias le plus flagrant. Pensez à n’importe quelle nouvelle voiture qui a eu beaucoup de succès à son lancement (Peugeot 3008 en France, Range Rover Evoque ou autres têtes d’affiche qui ont directement cartonné) : que lit-on généralement dans la presse spécialisée ? Que le modèle a tellement de succès qu’il y a 6 mois (voire plus) d’attente pour le recevoir une fois commandé. Des délais qui s’amenuisent au fur et à mesure que la production monte, mais clairement les démarrages de production sont complexes quel que soit le véhicule. Le traitement du cas Tesla est différent puisqu’on lit plutôt que Tesla a du mal à produire. Mais c’est principalement dû à deux facteurs : un carnet de commandes jamais vu (plus de 400000 réservations dès l’ouverture) et le fait que Tesla communique sur ses capacités de production, ce que les constructeurs historiques ne font jamais lors du lancement, pour n’afficher que les beaux scores quand l’usine tourne à plein volume.
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Je n’ai jamais autant entendu parler d’une marque de voiture quand même
Tesla fait l’objet d’un traitement particulier par la presse. Il suffit de voir l’importance donnée à n’importe quel crash de Tesla sur l’ensemble des médias pour s’en rendre compte : à chaque fois qu’une Tesla a un accident, elle fait les gros titres. Si la couverture média était la même pour chaque crash d’une Chevrolet (pour faire US) ou d’une Renault, on n’aurait plus que ça dans les journaux.
Maintenant, il faut justifier cette couverture par deux choses : l’une est qu’Elon Musk aime dire que les Tesla sont les voitures les plus sûres, et ose appeler son système d’assistance « autopilot », ce qui reste à l’heure actuelle un peu ambitieux. Alors forcément, l’humain aimant les contradictions faciles, un crash est une anecdote à fort pouvoir marketing (même si la plupart du temps, malgré des choc importants, les victimes s’en sortent plutôt bien. Ne pas avoir de moteur devant les jambes est un énorme avantage en cas de crash). L’autre, c’est qu’avec un pari aussi grand que de lancer une nouvelle marque auto grand public à partir de rien pour apporter les méthodes de la Silicon Valley à l’automobile (achat sur internet, mises à jour constantes…), Tesla est forcément suivi de très près par la presse.
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Mais pourquoi tant de haine?
Plusieurs facteurs : sans tomber dans la théorie du complot, il y a clairement de lourds lobbies qui aimeraient que la transition écologique se fasse très doucement, histoire d’avoir le temps de s’adapter. Mais il y a surtout Wall Street, avec une grande part d’investisseurs qui ont préféré jouer à la baisse sur l’action Tesla et qui n’ont donc aucun intérêt à recevoir une quelconque bonne nouvelle de la marque.
Enfin, il y a Elon Musk, qui en tant que personification excentrique de Tesla attire les critiques. A force de proposer d’aller sur Mars dans pas longtemps (et de terraformer la planète au passage), d’envoyer ses roadsters d’occasion dans l’espace, il passe pour un illuminé, et certains analystes financiers ne manquent pas d’insister sur ce point pour conseiller de « shorter » (ou parier à la baisse en français) le titre Tesla.

Au final…
Pour conclure, Tesla devrait atteindre son objectif de rentabilité dans l’année, les indicateurs semblent être en leur faveur. Mais ça ne dit pas comment ils vont financer les quelques milliards nécessaires à la nouvelle « gigafactory » qu’ils veulent lancer en Chine… Un peu comme Amazon à l’époque, Tesla a besoin d’investisseurs prêts à ne pas revoir d’argent pendant un moment s’ils veulent aller au bout de leurs ambitions, parce qu’on ne crée pas un constructeur automobile mondial, grand public et rentable en quelques années… D’un autre côté, Tesla a déjà réussi le pari de lancer la concurrence dans l’électrique (prouvant que son idée n’est pas si folle que ça puisque tout le monde cherche désormais à mettre des voitures en face des Model S et X), mais garde une longueur d’avance sur absolument toute la concurrence avec son réseau de superchargers qui permet à ses voitures d’être utilisées sur de grands trajets et pas seulement en rayonnant d’un point de charge connu. Ce réseau a coûté beaucoup d’argent, mais il fait désormais la différence.
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